Hier dimanche, pour la première fois de ma vie, j'ai été à l'origine d'un accident de la route dont quelqu'un d'autre a été victime.
Pas hyper sympa comme expérience, je ne souhaite à personne de la vivre.
J'ai pour ma part connu trois grosses gamelles : la première en 2004, la deuxième en 2007 et la troisième en 2008.
La dernière était due à une flaque de gasoil dans un virage de nuit, c'était inévitable. Les deux autres, erreur d'inattention de ma part, manque de concentration, je me suis sorti tout seul sans faire chier personne et sans dommage.
A côté de ça, j'ai assisté à pas mal d'accidents de moto, intervenu sur quelques-uns, y compris impliquant des potes, dont deux fois mes deux meilleurs amis qui me suivaient. Mais c'était à chaque fois dû à une erreur de leur part, ils roulaient trop fort par rapport à la situation ou à leur machine, mon comportement n'avait rien à voir dans l'histoire.
Là, c'est différent : je me considère responsable et ça me touche profondément.
Si je vous en parle, c'est d'une part parce que ça me fait du bien, d'autre part que ça se serve d'enseignement à tous et éviter que cela se reproduise pour l'un ou l'une d'entre nous.
Désolé, c'est un peu long, mais la situation était très particulière.
Samedi, je suis donc parti en reco dans le Lot.
Dans l'après-midi, je retrouve Poto, en R1200GS près de Cahors. Comme il connaît le coin, c'est lui qui ouvre. On remonte la vallée du Lot jusque Figeac, on revient par la vallée du Célé, quelques séances photo, rythme tranquille. A la fin, il se lâche un peu, je suis, on roule un peu fort mais propre, toujours en trajectoire de sécurité, pas de ratage, tout va bien.
Fin de journée au ravitaillement, on se donne rendez-vous pour le lendemain matin et il me demande si sa femme peut venir rouler avec nous. Pas de souci.
Je fais donc la connaissance de sa femme Miss Versys, un an et demi de permis moto, elle roule en 650 Versys et a fait un stage AFDM l'année dernière, elle a l'habitude de rouler en suivant Poto.
Je me mets donc en dernier, nous faisons une centaine de kilomètres, à un rythme peinard mais sans trop se traîner non plus sur les petites routes vers Rocamadour et St-Céré.
Déjeuner à Autoire, on discute, je propose à Miss Versys quelques points d'amélioration pour être plus à l'aise : utiliser plus ses appuis sur les pieds, élargir ses trajectoires d'entrée surtout sur les virages à gauche, plus tourner la tête et ne pas négocier les virages en décélération, mais avec plus de gaz.
On repart, rythme légèrement plus élevé.
Lors d'un arrêt, j'en profite pour passer devant et piquer ma crise sur une petite route de campagne, puis je reviens derrière...
On arrive à Assier, petite pause, on discute. Miss Versys se sent mieux, plus précise dans ses trajectoires, mais elle a toujours du mal à serrer à droite pour engager à gauche.
Je propose de passer devant pour montrer la trajectoire, Miss Versys me suit, Poto ferme.
La route est simple : D653 tout droit presque jusque Cahors.
On fait une petite dizaine de kilomètres, sans attaquer du tout. Ce sont de grandes courbes, je roule à 100 compteur, 95 km/h réels pour 90 limite.
Et nous arrivons à cet endroit :
https://maps.google.fr/maps?q=44.62611, ... 1&t=h&z=19
Dans la grande ligne droite en légère montée qui précède cette intersection, nous rattrapons deux véhicules, une vieille camionnette qui se traîne (à 70 km/h environ) suivie par une voiture.
Visibilité totale, je vérifie que personne n'arrive en face, la voie est libre sur 300 à 400 mètres sans souci.
J'aperçois au loin des flèches de rabattement et la route qui s'infléchit, mais j'ai carrément le temps de dépasser et de me rabattre, et les deux autres avec moi.
Dans ma tête, l'inflexion de la route que l'on aperçoit au bout est une courbe de plus, comme toutes celles que nous venons de passer.
Je n'imagine pas une seconde que cela puisse être une intersection, puisque la route reste tout du long la D653.
En fait, la D13 qui arrive de l'est continue tout droit et change de nom au beau milieu de nulle part pour devenir la D653...
Si j'avais eu la carte routière sous le nez, j'aurais pu le voir. Mais pas de chance, comme ceux qui ont la carte Michelin du Lot (départementale n°337) pourront le constater, Assier se trouve sur un pli de carte et ce carrefour sur un autre pli. Je n'avais pas changé la carte dans le lecteur puisque pour moi, c'était toujours tout droit...
Tout cela combiné fait que je décide de dépasser les deux véhicules.
Accélération, je monte à 100-120, nous les dépassons facilement.
Je ne fais pas signe de la main pour dire de me suivre.
Quelques bornes avant, on avait dépassé d'autres bagnoles et j'avais fait signe de me suivre APRES avoir dépassé.
Là, c'était en pleine ligne droite, je n'ai pas fait signe, ni avant, ni après.
Miss Versys a pris la décision de me suivre, mais elle avait toutes les raisons de le faire.
Je me rabats sur la première des trois flèches de rabattement et là, je vois sur la droite un panneau indiquant une limitation de vitesse à 50.
Je me doute que cela signale un souci, que la courbe qui arrive ne doit pas être si simple que ça.
Mais je ne peux pas freiner car je sais que miss Versys et Poto me suivent, je dois leur laisser la place de se rabattre.
Je coupe les gaz, mais ne freine pas.
Et là, en entrant dans la courbe, je découvre un panneau de céder le passage.
L'intersection est bien annoncée 150 m avant, mais la camionnette que je doublais a masqué le panneau d'annonce...
Avec la route qui monte, le muret à gauche et la maison construite dans l'intersection, impossible de voir le carrefour avant d'arriver dessus !
Je freine fort pour m'arrêter sur la ligne de pointillés.
Derrière moi, j'entends un crissement de pneus.
Miss Versys m'a suivi à 30 m derrière, n'a vu ni le panneau d'annonce d'intersection, ni celui de limitation à 50 (la camionnette a dû lui masquer au moins le second).
Elle devait être tellement concentrée sur ce qui se passait devant qu'elle n'a pas dû voir sur le côté.
Elle découvre le carrefour au dernier moment et plante le gros freinage, sans ABS.
Blocage des deux roues, elle file tout droit.
Problème, la route tourne et elle a une grosse moto devant elle avec deux valises alu bien larges.
Elle veut tourner, on voit bien la marque de pneus sur le sol qui fait une embardée.
Mais tourner avec la roue avant bloquée... Gros gadin, glissade sur 10-15 m, je vois Miss Versys faire des roulades en passant à côté de moi qui suis arrêté un mètre avant l'intersection.
Heureusement, le talus herbeux arrête la Miss qui se relève de suite, rien de cassé.
Chance dans son malheur, elle n'a rien touché, pas d'autre choc que la chute.
L'équipement complet l'a bien protégée. Des contusions et éraflures aux genoux car elle avait enlevé les coques du pantalon qui la gênaient. Un hématome au menton car le bas du casque a tapé par terre, merci le casque intégral !
La Versys a pris cher, elle va sans doute partir épave.
La super balade termine en eau de boudin.
Poto super fâché et on le comprend avec sa femme qui tombe à bonne vitesse sous ses yeux. Il a eu très peur, il s'en veut sans doute de ne pas être resté devant car lui n'aurait pas dépassé. En plus, ça arrive évidemment au mauvais moment puisque Cathy et lui devaient partir en vacances dans deux semaines, chacun sur sa moto. Sans compter la perte financière inévitable avec les franchises, vétustés, etc.
Moi complètement abattu.
Finalement, c'est Miss Versys qui l'a le mieux pris... Elle a tout de suite parlé de sa prochaine moto : la même mais avec ABS !
Depuis 24 heures, j'ai tourné et retourné dans ma tête toutes les composantes de l'accident.
Ma décision de dépasser était une prise de risque, dans la mesure où je ne voyais pas ce qu'il y avait après la courbe.
Un risque tout à fait gérable si j'avais été seul : j'ai pu terminer le dépassement et m'arrêter à temps avant l'intersection.
Si j'avais été avec Fred seulement, je pense que cela se serait bien passé aussi.
Mais à cause de cette décision, de cette prise de risque, même minime, j'ai imposé une situation difficile à une personne qui n'avait pas les moyens de la gérer.
Même si je ne suis pas directement la cause de l'accident, ma mauvaise analyse de la situation en est à l'origine.
Il aurait suffi d'un élément qui change et cela ne serait pas arrivé.
Si j'avais changé la carte de pli, j'aurais vu l'intersection. Si la camionnette avait été une voiture, j'aurais vu le panneau d'annonce d'intersection. Si nous avons dépassé 50 m plus tôt, on aurait eu le temps de ralentir sans faire de freinage d'urgence. Ou 50 m plus tard, j'aurais décidé de ne pas dépasser.
Si j'avais eu un gros groupe derrière moi ou des débutants , je n'aurais pas pris la décision de dépasser.
Et si, et si...
Quand on emmène un groupe, on en est responsable, il ne faut prendre aucun risque.
Là, j'en ai pris un, au mauvais endroit, au mauvais moment.
Pourquoi, je ne sais pas. Impatience ? Fatigue ? Excès de confiance en moi et/ou en mes compagnons de route ?
Le résultat est là.
C'est une combinaison d'éléments qui a engendré une situation très particulière.
Mais la leçon à en tirer vaut pour tout le monde.
Chaque manœuvre doit être réfléchie, ce n'est pas parce que l'ouvreur passe que les autres passent aussi.
L'ouvreur aura toutefois toujours une responsabilité, car il sait pertinemment que les suiveurs auront tendance à le suivre sans réfléchir. Responsabilité d'autant plus grande qu'il est plus expérimenté que les suiveurs.
à médiiter
